Sunday, March 24, 2013






Washington et Lafayette at Valley Forge, by John Ward Dunsmore
Il y a quarante-deux villes portant le nom de Lafayette aux Etats-Unis et pléthore de rues, places, squares, écoles l’arborant en France et qui sait combien aux Etats-Unis ? Sans oublier les très célèbres Galeries portant son nom à Paris. J’ai même trouvé un coq « Gallus Lafayette » trouvé exclusivement au Sri Lanka : pour quelles raisons a-t-il été ainsi nommé après le Général ? Je l’ignore ! Il y a même un Lafayette Drug Rehab Center à Lafayette Indiana, une Bank of Lafayette, Lafayette Inn and Brewery…Une Lafayette Sauce aussi…

De même j’ai pu ainsi découvrir qu’il y avait peu de familles Lafayette aux Etats-Unis en 1820, mais que ce même nom de famille s’est ensuite répandu entre 1880 et 1940, comme une traînée de poudre…Il se peut que beaucoup de descendants d’esclaves et même de nouveaux immigrants arrivés avec les vagues d’immigration de la fin du XIXème et du début du XXème ont adopté, lors de leur naturalisation, ce nom de famille, en raison même des connotations positives, héroïques et historiques qu’il semble porter dans l’inconscient collectif américain. De la même façon, Lafayette, comme prénom cette fois, a connu un grand succès entre 1900 et 1940, mais ne semble plus avoir été donné depuis. Ethniquement, ce sont les Noirs américains qui l’ont le plus utilisé comme prénom…Le fondateur de l’Eglise de scientologie lui-même s’appelait Lafayette Ron Hubbard…

Alors Lafayette n’existe-t-il dans nos mémoires que parce que l’on entend son nom souvent aux Etats-Unis, ou parce que l’on en parle, ici d’ailleurs plus souvent qu’en France ? Ce faisant, on pense à Sartre qui écrit dans Huis-Clos que nous n’existons que tant que les autres pensent ou parlent de nous…

Gilbert du Motier, Marquis de Lafayette,
Portrait de Cour en Lieutenant General,
1791
par Joseph Desire
Royaliste pour les Révolutionnaires et révolutionnaire pour les Royalistes, Lafayette est en réalité le symbole de la noblesse « éclairée » dont il est d’ailleurs l’élément « éclairant », du courant « libéral » au sens de « liberté ». Sa vie est marquée par sa foncière honnêteté : des hommes de la Révolution Française, il est le seul dont la carrière n’a rien de honteux à se reprocher, ce qui le rend vite suspect aux deux camps qui s’affrontent.  Son idéalisme novateur annonce déjà le romantisme politique du XIXème. Il a pris part aux quatre plus grands événements politico historiques de la fin du XVIIIème et du début du XIXème siècle : la Révolution Américaine, la Révolution Française, la chute de Napoléon et la Révolution de 1830. Il est à l’origine de la cocarde tricolore. Il aurait pu tomber dans le libertinage déviant de beaucoup de ses contemporains : en effet, héritier à 14 ans d’une des plus grandes fortunes de France, il ne l’a pas dilapidée au jeu ; jeune marié à 15 ans, il est demeuré fidèle à son épouse comme il le sera à la cause de la liberté, refusant même charge de cour à Versailles, tant convoitée par d’autres bien moins nés que lui et plus calculateurs, devenant ainsi aux yeux de La  Cour l’image du « mauvais courtisan ». Il préfère, à l’hypocrisie des perruques et des boudoirs dorés, la carrière militaire. Chrétien respectueux, il n’en est pas moins proche de l’Eglise réformée et deviendra Franc-Maçon au contact des hommes de la Révolution Américaine, pour laquelle il prend fait et cause rapidement. Il utilise son propre argent pour affréter navire et soldats, se mettant au service de la cause américaine et au-delà, de la poursuite de la liberté. Washington le traite comme le fils qu’il n’a jamais eu et en retour Lafayette nommera son propre fils George Washington. Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, les clés de la Bastille ont aussi été offertes par Lafayette à Washington et se trouvent maintenant à Mount Vernon. L’affection entre les deux hommes aurait pu être l’objet d’une analyse psychanalytique : au-delà de l’impact historique de la rencontre entre le Père de la nation américaine et le jeune Français, on peut lire l’aboutissement d’une recherche inconsciente de ce que Lacan appelle « l’Image du Père » dans cette relation filiale qui lie Lafayette, orphelin très jeune, à Washington, lui-même dans ce cas. Quant à Washington, patriarche fondateur sans dynastie personnelle, il fait, en envoyant le jeune général de 20 ans affronter l’ennemi anglais (la mère reniée), un peu office d’Abraham sacrifiant un Isaac si longtemps désiré et eu sur le tard. L’Amérique nouvelle qu’aime Lafayette, il la désire parée de toutes les vertus, telle qu’il la décrit dans une lettre à son épouse Adrienne en 1777 : « Le bonheur de l’Amérique est intimement lié au bonheur de toute l’humanité ; elle va devenir le respectable et sûr asile de la vertu, de l’honnêteté, de la tolérance, de l’égalité et d’une tranquille liberté ». Lafayette s’exprime plus en amoureux aveugle qu’en homme politique, en naïf idéaliste, celui que l’on envoie en première ligne lors des combats plutôt qu’en requin politique aux mains sales. C’est cette fraîcheur, cette vision optimiste du monde, cette absence de cynisme libertin qui le rend plus Américain que Français.

Washington and Lafayette at Mount Vernon, by Thomas Pritchard Rossiter and Louis Remy Mignot.
Metropolitan Museum of Art, New York

“Give me leave, my dear General, to present you with a picture of the Bastille, just as it looked a few days after I had ordered its demolition,–with the main key of the fortress of despotism. It is a tribute, which I owe, as a son to my adoptive father, as an Aide-de-Camp to my General, as a Missionary of liberty to its Patriarch.”


Et comme nul n’est prophète en son pays, Lafayette essuiera les conséquences de l’incompréhension de ses compatriotes lors de la Révolution Française : alors même qu’il avait su enthousiasmer Marie-Antoinette pour la cause américaine (Louis XVI n’est devenu enthousiaste que parce que cela lui donnait l’occasion de marquer des points contre l’Angleterre qui avait pris Québec à la France du temps de Louis XV), alors même qu’il était le rédacteur de la première Déclaration des Droits de l’Homme française, largement inspirée de la Déclaration américaine, il demeurait, de par ses idées progressistes, suspect aux yeux des royalistes. Nommé commandant de la Garde Nationale contre l’avis de Louis XVI en 1789 qui déclare en juin 1792, alors que la Terreur commence à pervertir les idéaux de la liberté constitutionnelle : « Je sais bien que Mr. de Lafayette nous protège. Mais qui nous protègera de Mr. de Lafayette ? » Il doit s’enfuir lui-même pour échapper à la guillotine, parce qu’il rappelle trop l’ancien régime aux Jacobins à l’esprit étroit. En réalité, Lafayette est trop imbu des idées américaines pour s’identifier à aucune des factions violentes émanant de la Révolution Française, trop amoureux du système constitutionnel et des garanties de liberté qu’il offre pour prendre fait et cause pour la monarchie absolue de droit divin.

C’est cette fidélité à la cause de la liberté qui le fera refuser tous les postes politiques prestigieux qui lui seront offerts par ceux qui aimeraient se servir de lui ou s’assurer son rattachement pour légitimer leur régime. Napoléon lui offrira tour à tour un poste de sénateur, le poste d’ambassadeur aux Etats-Unis et la Croix de la Légion d’Honneur. Même cet honneur éminemment convoité sera refusé par Lafayette, qui déclare « Si je dois encore participer à la vie publique, ce ne sera qu’en tant que représentant élu du peuple. » Foncièrement contre la violence, Lafayette se démarque des revanchards de tout bord, prêts à pourfendre leurs ennemis dès qu’ils prennent le pouvoir : il s’opposait à la mort du Roi, il s’opposera aussi à celle de Napoléon en Juin 1815. Châteaubriand écrit de lui « Dès les commencements de la Révolution, il ne se mêla point aux égorgeurs. Sous l’Empire, il fut noble et vécut à part ».

 Il est élu en 1818 à la chambre des députés. Son mandat est marqué par sa fidélité aux idées et mesures libérales et son opposition à la censure de la presse.
Il n’acceptera pas non plus, lors de la révolution de 1830, le poste de Président de la France, préférant se contenter de reprendre le commandement de la Garde Nationale qu’il avait déjà commandée en 1789. Cette intégrité à toute épreuve le fait aussi refuser le poste offert par Thomas Jefferson de Gouverneur de la Louisiane récemment acquise par les Etats-Unis, un Jefferson qui considère Lafayette comme « the doyen of the soldiers of liberty of the world ».
En 1824 le Congrès vote à l’unanimité d’accorder le titre de citoyen honorifique à Lafayette et l’invite à visiter ce pays qu’il a aidé à libérer. Ce voyage sera un baume au cœur d’un homme que les siens ne comprennent pas : il est accueilli partout avec enthousiasme et révérence, reconnu comme le héros qu’il fut.
Le 8 août 2002, Lafayette sera d’ailleurs élevé à titre posthume au titre de citoyen d’honneur des Etats-Unis : ils ne sont que quatre à se partager cet honneur dans toute l’histoire des Etats-Unis.




S’il est une citation de Lafayette que je considère comme frappante, c’est celle-ci : « J’ai pu me tromper, mais je n’ai jamais trompé personne ». En quelques mots, il reconnaît humblement ses torts, -se tromper-, ce qui est pourtant dans la nature humaine, et nous offre une belle leçon de courage intellectuel. Se tromper n’implique en effet que soi-même, mais tromper les autres, c’est un peu, voire beaucoup, voler, tricher, entacher ses propres principes et c’est inacceptable.

Châteaubriand a écrit au sujet de Lafayette : « Il a fallu plus de quarante années pour qu’on reconnût dans Monsieur de Lafayette des qualités qu’on s’était obstiné à lui refuser. A la tribune, il s’expliquait facilement et du ton d’un homme de bonne compagnie. Aucune souillure ne s’est attachée à sa vie ; il était affable, obligeant, généreux. »

Lafayette était aristocrate de par sa naissance noble mais est resté aristocrate, au vrai sens du terme,  de par sa sincérité, son humilité et sa fidélité à la cause de la liberté de l’être humain. Beaucoup ignorent qu’il était membre de la Société des Amis des Noirs et militait pour l’abolition de l’esclavage, allant au-delà même des déclarations des pères fondateurs des Etats-Unis et s’opposant au rétablissement de l’esclavage par Napoléon.


Ordre de Lafayette
L'Ordre de Lafayette est une organisation patriotique, héréditaire, non partisane et fraternelle, établie à New York en 1958 par le Colonel Hamilton Fisch III (1888 -1991), ancien représentant au Congrès de l’Etat de new York et vétéran de la Première Guerre Mondiale. 
La devise en est : Dieu, Unité, Paix et Honneur. 
La médaille de l'Ordre de Lafayette honore tous les soldats américains ayant servi en France pendant la Première et la Seconde Guerre Mondiale, les officiers de la Légion Etrangère Française ayant servi sur le territoire français pendant les deux guerres mondiales. L’éligibilité est aussi ouverte à tous les récipiendaires de la Médaille d’Honneur ou de la Médaille militaire française qui ont servi en France ou dans les territoires français pendant les deux guerres mondiales.

 Si Lafayette a ainsi un ordre militaire en son honneur, il est grand temps qu’il réintègre les manuels scolaires d’Histoire en France et qu’on lui y fasse une place d’honneur. 

© Sarah Diligenti Décembre 2010

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