Sunday, September 9, 2012

De quelques livres lus en vacances, liste non exhaustive!


Le temps ne s’étire jamais en longueur quand on lit un bon livre… L’été s’avère propice aux  lectures, surtout lorsque le "derecho" nous prive de tout autre divertissement.  Cependant, lire à la lumière blanche de ma lampe de poche n’est plus aussi agréable que lorsque je lisais en cachette de ma mère, sous mes draps, après la tournée d’ « extinction des feux » qu’elle assurait manu militari. Maintenant, il me faut jongler entre tenir le livre, la lampe de poche et les lunettes, tout en tournant les pages. C’est peut-être le signe que je dois me rendre et acheter un « e-book » !

Après avoir fini l’Histoire Amoureuse des Gaules, de Bussy-Rabutin dans la moiteur languide des journées de début juillet, -ce qui, ma foi, s’accordait bien avec le libertinage dépeint par cet auteur du XVIIème siècle-, j’entrepris de lire le deuxième livre d’Alina Bronsky, The Hottest Dishes of the Tartar Cuisine. Alina Bronsky est une jeune auteure allemande, d’origine russe, qui immigra en Allemagne à l’adolescence. Elle écrit en allemand. Son premier livre, Broken Glass Park, m’avait bouleversée et j’attendais impatiemment son deuxième. Pas de déception : Rosa Achmetowna, la narratrice, est Tartare. Elle provoque la rage et la pitié du lecteur, choqué de son manque de compassion à l’égard de sa fille, Sulfia, « (…) Sulfia wasn’t very gifted. In fact, to be honest, I’d say she was rather stupid. And yet somehow she was my daughter –worse still, my only daughter. (…) This daughter I did have was deformed and bore no resemblance to her mother. (…) I only hoped that her singlemindedness might prove attractive enough to some man that he wouldn’t notice her awful legs until the two of them were already standing in front of a justice of the peace.” Mais Rosa est tout amour pour sa petite-fille, Aminat, un amour constamment nuancé par l’agacement ou l’humour. Pour que sa petite-fille connaisse une meilleure vie, Rosa  va « marier » Sulfia trois fois : son premier mari la quitte pour une femme plus belle, son deuxième mari émigre en Israël avec la fille qu’ils ont eue ensemble et son troisième mari, un Allemand probablement pédophile qui faisait des recherches sur la cuisine tartare –d’où le titre du roman- devient très vite veuf avant de mourir à son tour. Aminat est l’enjeu que se disputent Rosa et Sulfia, mais ni l’une ni l’autre ne pourront se proclamer vainqueur : Aminat disparait, fugue, et ne réapparaitra dans le roman qu’au travers d’une émission de télévision allemande, type Star Académy. La fin du roman, tout comme celle de son premier livre, laisse le lecteur perplexe : est-ce que ce type de "fin sans fin" devient la signature des romans d’Alina Bronsky ? Car dans les deux livres les héroïnes fuient… Ce qui est certain, c’est que ce livre fera rire le lecteur, par son humour grinçant, noir, le narcissisme de son héroïne Rosa et la manière dont elle croque les personnes qui l’entourent, aux deux sens du terme !


I’m Every Woman, de Lonnae O’Neal Parker, est un recueil d’essais sur la condition féminine de la femme noire américaine contemporaine. Ms. Parker écrit dans le Washington Post et explore dans ce recueil les différences de perception entre femmes blanches et femmes noires. Quand le débat porte sur « working moms » et « stay-at-home moms », Ms. Parker nous rappelle judicieusement que c’est un duel qui n’existe pas ou prou dans la communauté noire américaine : souvent, les femmes noires étaient en charge d’enfants blancs (The Help) et ne pouvaient même pas s’occuper de leurs propres enfants, confiés aux grands-mères… La femme noire américaine ne se sent pas concernée par ce débat « travaille/ne travaille pas » car elle a toujours travaillé. Un des essais s’étend sur la question de la race : « White Girl ? Cousin Kim Is Passing. But Cousin Lonnae Doesn’t Want to Let Her Go. » En effet, la cousine de l’auteur est métisse, mais peut “passer” pour blanche. Dans son lycée en Illinois, personne ne sait qu’elle est noire. « I was shocked to hear that Cousin Kim considered herself white. I found out only because she had to fill out some forms to get into community college. Because I asked her if they had a box for race. (…) I was ready to tease her pointedly for checking off “other”. In between. Not quite either.  (…) I wasn’t ready for “white”. Or that familiar sting of rejection.” Kim a les yeux bleus et la peau claire. Pour des Blancs, elle est blanche. Un livre à lire pour mieux connaître la réalité d’une femme noire américaine aux USA.


J’ai aussi découvert un petit joyau, The Wandering Falcon, le premier roman de Jamil Ahmad, un fonctionnaire international qui a travaillé pendant les années 50 dans ce que l’on appelle aujourd’hui, non sans un certain trémolo de crainte dans la voix, « les territoires tribaux administrés fédéralement », c’est-à-dire les territoires frontaliers entre le Pakistan et l’Afghanistan, là où les Taliban ont installé leur fief et leur règne de terreur.  Dès le début, j’ai retrouvé l’atmosphère du Désert des Tartares, de Dino Buzzati, avec son paysage minéral et ses saisons de tempête de sable: « In the tangle of crumbling, weather-beaten, and broken hills where the borders of Iran, Pakistan and Afghanistan meet is a military outpost manned by about two score soldiers. Lonely, as all such posts are, this one is particularly frightening. No habitation for miles around, and no vegetation (…), and no water (…).  Nature has not remained content merely at this. In this land, she has also created the dreaded bad-e-sad-o-bist-roz, the wind of a hundred and twenty days. (…) It was but natural that some men would lose their minds after too long an exposure to such desolation and loneliness.” Ce premier chapitre donne le ton général de ce roman qui peut aussi se lire comme un recueil de nouvelles, à la manière d’ Olive Kitteridge, d’Elizabeth Strout. Le héros, ce « wandering falcon » qui se nomme Tor Baz, est présent dans chaque chapitre, soit physiquement, soit parce qu’on l’évoque. C’est son destin que l’on suit, de sa naissance, enfant bâtard fruit de l’adultère de sa mère avec l’homme qu’elle aime, à sa maturité, mais c’est aussi l’histoire de cette région, de ces tribus nomades, avec leurs noms –comme celui-ci, Afridi, qui est le nom d’une tribu mais aussi le nom de famille de celui que les Pakistanais considèrent comme traître parce qu’il a renseigné les Américains sur Osama à Abbotabad-, avec leurs lois, qui ne riment pas avec justice, mais avec violence : « Refuge, I cannot offer. I know your laws well, and neither I nor any man of mine shall come between a man and the laws of his tribe.” Ce livre qui se déroule de la Deuxième Guerre Mondiale au début des années 60, dans un monde de tribus de bergers, de gangs et de voleurs, où les femmes ont peu ou pas de droits, se révèle peut-être comme étant la meilleure explication du drame actuel que vit cette région soumise aux caprices de fanatiques religieux. Avec l’émergence de frontières et de « pays nouveaux » là où il y avait avant l’empire colonial britannique, c’est toute la culture nomadique qui disparaît. Des bergers nomades dont la subsistance était assurée par la transhumance saisonnière d’une région à l’autre, afin de permettre à leurs troupeaux de paître, il ne reste rien. Ils ont été effacés au nom de la structure étatique. Quelle nostalgie dans ces lignes qui expliquent que la bureaucratie internationale a signé l’arrêt de mort de cette culture nomadique! : « We are Powindas and belong to all countries, or to none (…). Why do we wish us to change? (…) There was no way for them to obtain travel documents for thousands of their tribesmen; they had no birth certificates, no identity papers or health documents. They could not document their animals. The new system would certainly mean the death of a centuries-old way of life.”  Peut-être payons-nous le prix de l’imposition de notre préférence pour une vie sédentaire et notre croyance têtue en les Etats-nations, un prix du sang qui monte aux enchères du fanatisme chaque fois qu’un attentat-suicide a lieu en Afghanistan ou au Pakistan. The Wandering Falcon sortira en "paperback" le 2 octobre.