Tuesday, March 18, 2014

Avoir des souvenirs d’une guerre que l’on n’a pas vécue, cela n’arrive pas souvent. Pourtant, grâce  aux ou à cause des médias, on peut maintenant vivre, de manière virtuelle, ce qui se passe à Homs ou à Benghazi.  C’était déjà le cas, mais de manière moins omniprésente, dans les années 70 et les années 80, quand a éclaté la guerre du Liban. Je ne sais pas ce qui en est de vous, mais moi j’ai des souvenirs vivides des attentats de 1983 contre les forces armées américaines et françaises,  souvenirs qui m’auront d’autant plus marquée qu’en 2009 j’ai fait connaissance d’un des rares survivants, dont j’avais vu la photo à l’époque en couverture du Time Magazine. 

J’ai aussi un beau-frère libanais et des sœurs en partie libanaises (nous avons le même père), donc lire le livre de Sorj Chalandon m’a de suite interpellée.  Par ailleurs, ce livre a obtenu le Prix Goncourt des Lycéens 2013, ce qui prouve, une fois de plus, que les lycéens ont souvent meilleur goût que le Prix Goncourt traditionnel.

Jusqu’à la page 103, le livre est un peu longuet. (Sauf le chapitre 1) : ces jeunes qui contestent pour contester sans vraiment savoir ce qu’ils veulent ni pourquoi ils contestent, c’est déprimant et dépassé et cela sonne faux.  Ça fait un peu effet de  séries TV dont on dit qu’elles ont « vieilli » ce qui est un euphémisme pour ne pas dire qu’elles ne marqueront que leur époque et n’auront jamais une dimension universelle. Bref, Le 4ème mur ne sera jamais un grand classique, même s’il pourrait y prétendre.   Ecrire sur la guerre semble être une mode depuis quelques années : Les bienveillantes,  L’Art de la guerre, et j’en passe, mais peu sauront la rendre aussi glorieuse et misérable à la fois qu’a su le faire Tolstoï dans Guerre et Paix. Pour sa défense quand même, l’insertion d’extraits de pièces de théâtre : Ubu, Antigone, Tchekhov, permet de donner le ton car le livre est aussi une mise en scène dans une mise en scène, une sorte de méta-texte du théâtre et de la guerre, donc du théâtre de la guerre.

On s’attache assez rapidement au personnage de Sam (Samuel), ce Grec Juif, rare survivant de Salonique, qui est le lien entre l’Occident (Paris, la France, les milieux estudiantins de gauche) et l’Orient (Beyrouth, le Liban, les communautés religieuses), ce Sioniste pro-Palestinien, qui tente, jusqu’à en mourir, -son corps somatisant les souffrances des uns comme des autres-, de créer la paix là où il n’y a que la haine, de transcender la haine en faisant jouer, sur la ligne verte qui sépare Beyrouth en deux, Antigone d’ Anouilh. Sa maladie l’empêche de poursuivre ce rêve et il va donner  à Georges comme mission de porter à bien l’entreprise, périlleuse s’il en est, de rencontrer les acteurs de cette Antigone de la guerre du Liban. Chaque acteur est un représentant d’une des nombreuses  communautés religieuses du Liban.  Une gageure s’il en était une et ici, la fiction l’emporte sur la réalité de la guerre.

On s’attache aussi et encore plus aux acteurs : à Charbel qui dit « je suis maronite, pas phalangiste » ;  à Imane, la jeune Palestinienne sunnite qui est l’Antigone de Beyrouth ; à Marwan, le Druze, déchiré entre Islam et Chrétienté et à ce titre, haï des uns comme des autres, mais pas des Druzes de Tsahal ; et on a presqu’envie de s’attacher à Joseph Boutros, le sniper qui récite Hugo, Demain dès l’aube, quand  la nuit, embusqué, il tire à vue sur toutes les personnes qui passent…. Mais les événements font que la guerre est la guerre et que ceux qui la pratiquent, ayant laissé l’irrationalité prendre le dessus, perdent toute humanité, il est impossible de leur pardonner comme c’est le cas pour Charbel qui livrera son frère. La guerre du Liban décrite dans Le 4ème mur, c’est la mise en relief d’un autre livre, écrit par un Libanais maintenant Immortel, Les identités meurtrières, du grand Amin Maalouf. Les événements de Syrie et maintenant d’Ukraine nous prouvent à quel point l’histoire et les haines historiques n’en finissent pas de se répéter.

Seuls Samuel et le docteur Cohen qui le soigne ont compris que la mort d’un enfant n’autorise pas la mort d’un autre enfant en un éternel recommencement de la loi du Talion. Ce sont les vrais Justes de Camus, tout comme l’Antigone d’Anouilh a elle aussi une dimension camusienne dans sa volonté de justice. Cette soif de justice qui anime Samuel est perdue pour le monde qui s’entredéchire comme les événements de Sabra et Chatila l’ont montré dans la réalité et dans le livre de Sorj Chalandon. 

Le narrateur, Georges, celui qui « fera le Juif » comme lui avait dit Samuel mourant, et celui à qui Marwan le druze demande en le rencontrant : « Georges ? Comme Georges Al-Hakim Habache, le terroriste palestinien ? » (dont on aurait apprécié que l’auteur indique qu’il était chrétien), n’est pas Georges combattant l’hydre de la guerre ou sa métaphore, le dragon. Il sera porteur de parole, celle de Samuel, instrument de la volonté du mourant, mais instrument qui n’arrivera pas à ses fins. Georges laisse des plumes dans l’aventure : sa famille (sa femme Aurore, sa fille Louise) et sa santé mentale. Le dernier chapitre du livre marque une boucle avec le premier, en un clin d’œil littéraire à L’Attentat de Yasmina Khadra. Ce chapitre est d’une intensité qui sublime le roman, transcende Antigone et laisse le lecteur souffle coupé. Je n’en dirai pas plus.



© Sarah Diligenti,  Exercices de Plume Février 2014

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