Avoir des
souvenirs d’une guerre que l’on n’a pas vécue, cela n’arrive pas souvent.
Pourtant, grâce aux ou à cause des
médias, on peut maintenant vivre, de manière virtuelle, ce qui se passe à Homs
ou à Benghazi. C’était déjà le cas, mais
de manière moins omniprésente, dans les années 70 et les années 80, quand a
éclaté la guerre du Liban. Je ne sais pas ce qui en est de vous, mais moi j’ai
des souvenirs vivides des attentats de 1983 contre les forces armées américaines
et françaises, souvenirs qui m’auront
d’autant plus marquée qu’en 2009 j’ai fait connaissance d’un des rares survivants, dont j’avais vu la photo à l’époque en couverture du Time Magazine.
J’ai aussi un beau-frère
libanais et des sœurs en partie libanaises (nous avons le même père), donc lire
le livre de Sorj Chalandon m’a de suite interpellée. Par ailleurs, ce
livre a obtenu le Prix Goncourt des Lycéens 2013, ce qui prouve, une fois de
plus, que les lycéens ont souvent meilleur goût que le Prix Goncourt
traditionnel.
Jusqu’à la page
103, le livre est un peu longuet. (Sauf le chapitre 1) : ces jeunes qui
contestent pour contester sans vraiment savoir ce qu’ils veulent ni pourquoi
ils contestent, c’est déprimant et dépassé et cela sonne faux. Ça fait un peu effet de séries TV dont on dit qu’elles ont
« vieilli » ce qui est un euphémisme pour ne pas dire qu’elles ne marqueront
que leur époque et n’auront jamais une dimension universelle. Bref, Le
4ème mur ne sera jamais un grand classique, même s’il
pourrait y prétendre. Ecrire sur la guerre semble être une mode
depuis quelques années : Les bienveillantes, L’Art de la guerre, et j’en passe, mais
peu sauront la rendre aussi glorieuse et misérable à la fois qu’a su le faire
Tolstoï dans Guerre et Paix. Pour sa défense quand même, l’insertion
d’extraits de pièces de théâtre : Ubu, Antigone, Tchekhov,
permet de donner le ton car le livre est aussi une mise en scène dans une mise
en scène, une sorte de méta-texte du théâtre et de la guerre, donc du théâtre
de la guerre.
On s’attache
assez rapidement au personnage de Sam (Samuel), ce Grec Juif, rare survivant de
Salonique, qui est le lien entre l’Occident (Paris, la France, les milieux
estudiantins de gauche) et l’Orient (Beyrouth, le Liban, les communautés
religieuses), ce Sioniste pro-Palestinien, qui tente, jusqu’à en mourir, -son
corps somatisant les souffrances des uns comme des autres-, de créer la paix là
où il n’y a que la haine, de transcender la haine en faisant jouer, sur la
ligne verte qui sépare Beyrouth en deux, Antigone d’ Anouilh. Sa maladie
l’empêche de poursuivre ce rêve et il va donner
à Georges comme mission de porter à bien l’entreprise, périlleuse s’il
en est, de rencontrer les acteurs de cette Antigone de la guerre du Liban.
Chaque acteur est un représentant d’une des nombreuses communautés religieuses du Liban. Une gageure s’il en était une et ici, la
fiction l’emporte sur la réalité de la guerre.
On s’attache aussi
et encore plus aux acteurs : à Charbel qui dit « je suis maronite, pas phalangiste » ; à Imane, la jeune Palestinienne sunnite qui
est l’Antigone de Beyrouth ; à Marwan, le Druze, déchiré entre Islam et
Chrétienté et à ce titre, haï des uns comme des autres, mais pas des Druzes de
Tsahal ; et on a presqu’envie de s’attacher à Joseph Boutros, le sniper
qui récite Hugo, Demain dès l’aube, quand la nuit, embusqué, il tire à vue sur toutes
les personnes qui passent…. Mais les événements font que la guerre est la
guerre et que ceux qui la pratiquent, ayant laissé l’irrationalité prendre le
dessus, perdent toute humanité, il est impossible de leur pardonner comme c’est
le cas pour Charbel qui livrera son frère. La guerre du Liban décrite dans Le 4ème mur, c’est la mise
en relief d’un autre livre, écrit par un Libanais maintenant Immortel, Les
identités meurtrières, du grand Amin Maalouf. Les événements de Syrie et
maintenant d’Ukraine nous prouvent à quel point l’histoire et les haines
historiques n’en finissent pas de se répéter.
Seuls Samuel et
le docteur Cohen qui le soigne ont compris que la mort d’un enfant n’autorise
pas la mort d’un autre enfant en un éternel recommencement de la loi du Talion.
Ce sont les vrais Justes de Camus, tout comme l’Antigone d’Anouilh a
elle aussi une dimension camusienne dans sa volonté de justice. Cette soif de
justice qui anime Samuel est perdue pour le monde qui s’entredéchire comme les
événements de Sabra et Chatila l’ont montré dans la réalité et dans le livre de
Sorj Chalandon.
Le narrateur, Georges, celui qui « fera le Juif » comme lui avait
dit Samuel mourant, et celui à qui Marwan le druze demande en le rencontrant :
« Georges ? Comme Georges
Al-Hakim Habache, le terroriste palestinien ? » (dont on aurait
apprécié que l’auteur indique qu’il était chrétien), n’est pas Georges
combattant l’hydre de la guerre ou sa métaphore, le dragon. Il sera porteur de
parole, celle de Samuel, instrument de la volonté du mourant, mais instrument
qui n’arrivera pas à ses fins. Georges laisse des plumes dans l’aventure :
sa famille (sa femme Aurore, sa fille Louise) et sa santé mentale. Le dernier
chapitre du livre marque une boucle avec le premier, en un clin d’œil
littéraire à L’Attentat de Yasmina Khadra. Ce chapitre est d’une
intensité qui sublime le roman, transcende Antigone et laisse le lecteur
souffle coupé. Je n’en dirai pas plus.
© Sarah Diligenti, Exercices de
Plume Février 2014
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