Le temps ne s’étire jamais en longueur quand on lit un bon livre… L’été
s’avère propice aux lectures, surtout
lorsque le "derecho" nous prive de tout autre divertissement. Cependant, lire à la lumière blanche de ma
lampe de poche n’est plus aussi agréable que lorsque je lisais en cachette de
ma mère, sous mes draps, après la tournée d’ « extinction des
feux » qu’elle assurait manu militari. Maintenant, il me faut jongler
entre tenir le livre, la lampe de poche et les lunettes, tout en tournant les
pages. C’est peut-être le signe que je dois me rendre et acheter un
« e-book » !


J’ai aussi découvert un petit joyau, The Wandering Falcon, le
premier roman de Jamil Ahmad, un fonctionnaire international qui a travaillé
pendant les années 50 dans ce que l’on appelle aujourd’hui, non sans un certain
trémolo de crainte dans la voix, « les territoires tribaux administrés
fédéralement », c’est-à-dire les territoires frontaliers entre le Pakistan
et l’Afghanistan, là où les Taliban ont installé leur fief et leur règne de
terreur. Dès le début, j’ai retrouvé
l’atmosphère du Désert des Tartares, de Dino Buzzati, avec son paysage
minéral et ses saisons de tempête de sable: « In
the tangle of crumbling, weather-beaten, and broken hills where the borders of
Iran, Pakistan and Afghanistan meet is a military outpost manned by about two
score soldiers. Lonely, as all
such posts are, this one is particularly frightening. No habitation for miles
around, and no vegetation (…), and no water (…). Nature has not remained content merely at
this. In this land, she has also created the dreaded bad-e-sad-o-bist-roz, the wind of a hundred and twenty days. (…) It
was but natural that some men would lose their minds after too long an exposure
to such desolation and loneliness.” Ce premier chapitre donne le ton général de ce roman qui peut aussi se lire
comme un recueil de nouvelles, à la manière d’ Olive Kitteridge,
d’Elizabeth Strout. Le héros, ce « wandering falcon » qui se nomme
Tor Baz, est présent dans chaque chapitre, soit physiquement, soit parce qu’on
l’évoque. C’est son destin que l’on suit, de sa naissance, enfant bâtard fruit
de l’adultère de sa mère avec l’homme qu’elle aime, à sa maturité, mais c’est
aussi l’histoire de cette région, de ces tribus nomades, avec leurs noms –comme
celui-ci, Afridi, qui est le nom d’une tribu mais aussi le nom de famille de
celui que les Pakistanais considèrent comme traître parce qu’il a renseigné les
Américains sur Osama à Abbotabad-, avec leurs lois, qui ne riment pas avec
justice, mais avec violence : « Refuge,
I cannot offer. I know your
laws well, and neither I nor any man of mine shall come between a man and the
laws of his tribe.” Ce livre qui
se déroule de la Deuxième Guerre Mondiale au début des années 60, dans un monde
de tribus de bergers, de gangs et de voleurs, où les femmes ont peu ou pas de
droits, se révèle peut-être comme étant la meilleure explication du drame
actuel que vit cette région soumise aux caprices de fanatiques religieux. Avec
l’émergence de frontières et de « pays nouveaux » là où il y avait
avant l’empire colonial britannique, c’est toute la culture nomadique qui
disparaît. Des bergers nomades dont la subsistance était assurée par la transhumance
saisonnière d’une région à l’autre, afin de permettre à leurs troupeaux de
paître, il ne reste rien. Ils ont été effacés au nom de la structure étatique.
Quelle nostalgie dans ces lignes qui expliquent que la bureaucratie
internationale a signé l’arrêt de mort de cette culture nomadique! :
« We are Powindas and belong to all
countries, or to none (…). Why
do we wish us to change? (…) There was no way for them to obtain travel
documents for thousands of their tribesmen; they had no birth certificates, no
identity papers or health documents. They could not document their animals. The
new system would certainly mean the death of a centuries-old way of life.” Peut-être
payons-nous le prix de l’imposition de notre préférence pour une vie sédentaire
et notre croyance têtue en les Etats-nations, un prix du sang qui monte aux
enchères du fanatisme chaque fois qu’un attentat-suicide a lieu en Afghanistan
ou au Pakistan. The Wandering Falcon sortira en "paperback" le 2 octobre.